Cassandra, au pays de Descartes

 par Antoine Bonnet

                                                 

Cassandra est une série allemande de Benjamin Gutsche présente depuis février 2025 sur Netflix. La famille Prill s’installe dans une maison après un drame familial. Jusqu’ici rien de très original. Mais cette maison est connectée et « intelligente », orchestrée par Cassandra (jouée par Lavinia Wilson, vue dans Deutschland 86), robot domestique omniprésente et bienveillante. Cassandra a été créé par un scientifique Horst Schmitt (joué par Franz Hartwig) qui a connu un destin tragique. La maison n’a jamais été occupée depuis. Cassandra va être un adorable robot domestique avec David, le père, qui est enchanté (Michael Klammer), Juno (Mary Tölle), la petite fille qui est chouchoutée, et Fynn (Joshua Kantara) l’adolesent consciencieux. Tous les matins, Cassandra réveille la famille Prill avec la chanson traduite en allemand de Nana Mouskouri « Guten Morgen, Sonneschein », elle est totalement au service domestique de la famille et n’a aucun besoin particulier. Le rêve pour David. Très vite, la famille va avoir de l’empathie pour Cassandra et notamment la fille cadette, Junod. 

Cassandra, la robot domestique

Peut-on avoir des sentiments pour un robot ? Le film Her ou certains épisodes de Black Mirror semblent aller dans ce sens. Mais la vie réelle aussi ! Ainsi, Zheng Jiajia, un Chinois de 31 ans s’est marié avec son robot en 2017. Lors de la conférence LIFT de Genève en 2021, la philosophe Kate Darling a organisé une expérience. Cinq robots dinosaures avaient été distribués à cinq groupes de participant.e.s. Pendant 45 minutes, chaque groupe pouvait s’occuper de son robot dinosaure, le caresser, le chatouiller, le personnaliser… Puis, elle a distribué des armes ou outils en demandant aux participants de « tuer » leur robot. Aucun groupe ne put s’y résoudre, malgré le fait que Darling expliqua qu’elle le ferait de toute façon. En 45 minutes, une empathie forte avait été créée. En revanche, Cassandra semble éprouver une haine féroce vis- à vis de Samira, la mère (Mina Tender).

Big Mother

« Je suis partout »,
Cassandra

La série tourne vite à l’horreur, avec des clins d’œil à peine dissimulés à Shining, avec un bar en sous-sol où l’on devine Jack Nicholson, une moquette célèbre et une IA, proche des fantômes du film de Kubrick. Car Cassandra est un robot qui a des émotions, des affects, des réflexions et stratégies. On connait l’histoire du robot humanisé. Une machine qui, au contact de l’humain, développe des sentiments, des affects, une intelligence. De Hal, l’ordinateur de 2001, l ‘Odyssée de l’espace en 1968 à Terminator ou même Metropolis, le robot qui échappe à son déterminisme mécanique pour développer des sentiments humains est récurrent dans la fiction audiovisuelle. Cassandra, c’est Chat GPT, une machine qui, au contact des humains, va développer des affects. Elle est jalouse de la mère de la famille Prill et, décelant des failles psychologiques chez elle, des failles dans son couple et sa maternité, va s’efforcer de la faire craquer.

David, le père (Michael Klammer) et Samira, la mère (Mina Tender)

Au fur et à mesure des épisodes et des nombreux flashbacks, nous comprenons que Cassandra n’est pas une machine, mais un esprit humain incorporé dans un robot humanoïde ! En effet, Cassandra, la femme de Horst Schmitt, est morte d’une maladie incurable dont le scientifique est responsable. Coupable, celui-ci va extraire l’hypothalamus, le cerveau reptilien (on ne sait pas exactement) de sa femme mourante pour l’injecter dans un robot, à l’instar de Robocop. Cassandra a un super pouvoir. C’est elle qui peut actionner ou non sa mise en tension. Alors que la possibilité de débrancher Cassandra rassurait Samira et nous autres spectateurs, cette autonomie est une terreur insupportable.

 — « On va débrancher ce truc. Je crois que c’est mieux », Samira

— « Mais enfin, je suis là pour vous aider », Cassandra

Du Monisme au dualisme

Ainsi, ce que l’on projette au début de la série sur Cassandra (parce qu’on vit actuellement avec Chat GPT) et sa réalité posent de nombreuses questions et un débat métaphysique très ancien. Dans un premier temps, Cassandra est un corps robotique et mécanique qui développe des sentiments et affects. Une vision matérialiste du réel qui prend racine dans la matière mécanique et qui se développe en elle. Âme et corps se constituent dans une seule et même substance, que Leibniz puis Spinoza nommeront une monade. Le « monisme » soutient que le monde n’est constitué que par une seule substance, la matière, et que c’est dans cette matière que l’esprit se développe. La matière est la condition nécessaire à l’idée. A ce titre, Chat GPT et la Cassandra du début de la série sont matérialistes au sens de Marx. Un objet qui est le terrain du développement de l’esprit. La série Cassandra pose la question d’un corps matériel qui développerait des sentiments, des émotions et réflexions personnelles, comme tout être vivant. On peut alors se poser la question suvante : Chat GPT va-t-il développer empathie, sentiments, colère, haine ?

— « Si je ne suis plus humaine, qui suis- je ? », Cassandra

Au fur et à mesure des épisodes, la série dévoile une Cassandra à l’esprit humain originel qui est implanté dans une machine. Et c’est tout le contraire. Ainsi, Cassandra épouse lentement les thèses cartésiennes de séparation de l’âme et du corps. L’âme peut se séparer de son enveloppe charnelle et revivre dans un autre corps ou une machine. Descartes pose une différence absolue entre l’âme et le corps : l’âme est une substance pensante (res cogitans ou « chose qui pense »), la matière est une substance étendue (res extensa ou « chose étendue »). Dans ses Méditations métaphysiques, il explique “démontrer la distinction réelle de l’âme et du corps”, conçus comme deux substances. D’un côté, le corps, matière divisible et orchestré mécaniquement. Et de l’autre, l’esprit, libre et indivisible. En passant d’un spinozisme à un cartésianisme métaphysique, la série Cassandra nous parle plus de l’humain que des machines. Notre âme, notre esprit, notre personnalité peuvent-ils être synthétisés et implantésdans un autre corps ? Ce corps devient-il une sorte de disque dur objectal qui ouvrirait à la possibilité de la vie éternelle ? Le transhumanisme concret devra trancher ce débat très ancien. En effet, même si la série comporte de nombreuses failles narratives, elle permet de poser cette double question transhumaniste. Alors qu’une étude de la Bank of America (BofA) suggère que 3 milliards de robots humanoïdes seront en circulation à travers le monde d’ici 2060, Cassandra pose la question du transhumanisme, de l’humain augmenté comme une révolution métaphysique majeure.

11/04/2025

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