
« Rire des situations pas de cette epoque » : comment est née la série 3615 monique
Diffusée entre 2020 et 2022 sur feu le bouquet OCS, la série 3615 Monique levait un coin du voile sur les origines du Minitel (rose) et ses pionniers. Pour nous, ses créateurs Emmanuel Poulain-Arnaud et Armand Robin reviennent sur ce drôle de voyage vers la France mitterrandienne, dans lequel on croise Serge July, Charles Pasqua et… Marc Dorcel. Un entretien mené par Robin Berthelot en octobre 2024.
Robin Berthelot : Quelle a été la genèse de 3615 Monique ? Quelles étaient vos influences ?
Emmanuel Poulain-Arnaud : Pour évoquer le Minitel rose et ses origines, on avait pensé assez tôt au ton : on voulait aller du côté de la comédie – mais une comédie à laquelle on croit, raison pour laquelle Le Péril jeune s’est vite imposé comme inspiration. Pour la création, brique après brique, d’une entreprise, on avait aussi The Social Network en tête. Très vite, on a donc imaginé ce trio formant les trois parties d’un même cerveau, permettant la création de l’entreprise : Stéphanie, qui a la volonté de réussir coûte que coûte, Simon, le génie technique et Tony, l’étincelle, la liberté folle qui donne vie à toute cela. Une fois ces trois personnages en place, on a commencé à jouer avec et à beaucoup s’amuser.
On pense aussi à l’excellente série américaine Halt and Catch Fire. Était-ce une référence que vous aviez en tête ?
Armand Robin : Pour la façon de raconter la création d’une entreprise, notre producteur y songeait effectivement – même si on connaissait peu cette série à l’origine. D’autant que Halt and Catch Fire n’est pas du tout une série comique mais au contraire très tendue, qui traite de la création d’ordinateurs comme d’une question de vie ou de mort. On préférait rester plus légers, apporter à la fois un peu plus de respirations, d’intimité. On voulait faire vivre à nos personnages plus d’accidents de parcours – là où ceux de Halt and Catch Fire sont brillants dans leurs domaines et font face à des adversaires externes.
Emmanuel Poulain-Arnaud : On avait également comme référence Silicon Valley ; comme dans cette série, on voulait raconter l’histoire de bras cassés. Ils ont beau être des petits génies, ils ont une idée géniale mais ne savent pas comment la concrétiser, ils s’adressent aux mauvaises personnes, se font arnaquer et ne prennent que les mauvaises décisions ! Forcément, ça nous a beaucoup parlé.
Vous avez toujours envisagé une série comique, ou le ton est venu avec les personnages et leur dynamique ?
Armand Robin : D’emblée, ça a été conçu comme une comédie, et la production est justement venue nous chercher car elle savait qu’on avait tous les deux une sensibilité comique. On savait qu’on allait écrire des épisodes de 26 minutes – puisque c’est OCS que l’on visait comme diffuseur dès le début et que la chaîne ne diffusait que des comédies à l’époque.

(Paul Scarfoglio, Noémie Schmidt et Arthur Mazet)
3615 Monique s’inscrit aussi dans une tendance plus large, celle d’œuvres qui reviennent à l’origine des technologies informatiques en France. C’est le cas de romans comme La Théorie de l’information d’Aurélien Bellanger ou Comédies françaises d’Éric Reinhardt. Avez-vous lu ces livres pour mieux vous représenter cette époque ?
Emmanuel Poulain-Arnaud : Il me semble que Comédies françaises est sorti après mais La Théorie de l’information, oui, on l’a lu et on a adoré. On s’en est beaucoup inspiré, c’est un roman génial, qui synthétise plusieurs personnalités en une, qui nous a aidé à rentrer dans cet univers un peu difficile d’accès.
Armand Robin : Pour ce qui était de recréer la culture de l’époque, on a regardé beaucoup de vidéos de l’INA, des micro-trottoirs, qui nous ont bien aidé pour faire ressentir les années 1980. Il faut dire aussi qu’on est des enfants des années 80 ; on en avait gardé certains souvenirs, même s’il y avait forcément une part de fantasme dans cette reconstitution. Pour ce qui concerne le Minitel en tant que tel, la documentation était assez copieuse : on a lu le rapport Nora-Minc, qui résumait bien les résultats des premiers tests du Minitel dans plusieurs régions françaises. On est aussi entré en contact avec le Musée du Minitel, constitué d’une bande de passionnés, d’anciens employés des télécoms qui ont gardé des machines ! On voulait recueillir les témoignages de la bouche même des intéressés, de ceux qui ont manipulé les équipements, pour savoir ce qui était réaliste, ce qui était logique.
Emmanuel Poulain-Arnaud : On a aussi souhaité baliser notre récit avec les dates précises de l’histoire du Minitel, raison pour laquelle la série commence avec l’élection de François Mitterrand et continue avec Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur, par exemple. Pour nous, c’était primordial.
A ce titre, vous vous êtes souvent amusés à faire interagir vos personnages fictifs avec des personnalités bien réelles.
Emmanuel Poulain-Arnaud : Tout à fait, on voulait rebondir sur le réel, un peu comme l’avaient fait avant nous des films comme Forrest Gump. « Tiens, si nos trois protagonistes rencontraient Serge July ? » Cela nous permettait d’écrire des épisodes assez originaux, tout en gardant en ligne de mire ce cap qu’on avait fixé pour les personnages : ces rencontres et événements historiques qui leur mettent des bâtons dans les roues.
La série échappe aussi aux clichés usuels dans la façon dont vous représentez cette époque.
Armand Robin : Depuis le début, c’était clairement notre ambition « d’y croire », c’est-à-dire de ne pas regarder les années 80 de l’extérieur, de ne pas prendre de haut les personnages. On ne voulait pas que ça vire au gimmick, au sketch avec des perruques et des habits criards… Le but était de rire des situations, pas de cette époque-là. C’est quelque chose sur lequel tu as beaucoup insisté, Manu, et tu avais raison.
Emmanuel Poulain-Arnaud : Oui, et c’était pareil pour les dialogues – c’est d’ailleurs là que Le Péril jeune nous a beaucoup influencés. On n’a pas cherché à retrouver la façon de parler de l’époque, mais plutôt à assumer des dialogues très modernes. Pourquoi ? Parce que quand on est jeune dans les années 80, on est moderne, on s’exprime avec un « flow » rapide, pas avec des expressions datées. On ne voulait surtout pas que ce soit poussiéreux.
Comment s’est fait le choix des trois interprètes principaux ?
Armand Robin : Le choix des acteurs était surtout du ressort du réalisateur Simon Bouisson et de la production, même si on avait notre mot à dire. Simon avait en tête des acteurs un peu moins comiques que nous, il a donc fallu qu’on se rencontre à mi-chemin… Concernant la distribution, c’était capital pour nous d’avoir des interprètes dotés d’une vraie fibre comique.
Emmanuel Poulain-Arnaud : Ce sont des personnages au départ assez stéréotypés, voire clichés, qui gagnent en complexité au fil du récit. On comprend mieux leurs névroses, on aperçoit leurs zones d’ombre. Il fallait donc trouver des comédiens capables d’allier tout cela ! Ça a aussi fait évoluer notre façon d’écrire, cette idée d’aller chercher des personnages qui ne sont pas que drôles, qui peuvent aussi être émouvants. Car, en filigrane, ce qu’on souhaitait raconter, c’était le passage à l’âge adulte de ces trois personnages, mais aussi les mutations d’un pays, qui va changer d’époque, aller de l’avant. Il fallait donc que les acteurs aient tout ça en tête, et heureusement cela a été le cas.
Justement, c’est l’un des thèmes récurrents dans la série : cette idée pour les personnages de « tuer le père », de s’affranchir de l’autorité de ses aînés pour mieux s’affirmer.
Emmanuel Poulain-Arnaud : Exactement, les personnages vont défier leurs parents et remettre question cette époque très fermée, froide, patriarcale. En créant leur entreprise, ils vont jeter un gros pavé dans cette marre stagnante. Leur vision de la sexualité devient celle de la société dans son ensemble. Ils incarnent cette jeunesse française qui prend son envol.
Concernant la représentation et la mise en scène de la sexualité, vous avait-on fixé des limites, des lignes rouges ?
Emmanuel Poulain-Arnaud : La série ne parle pas vraiment de sexe ; on parle du langage du sexe. Comment s’approprier un langage pour créer des fantasmes et créer l’érotisme ? Notre but n’était donc pas tant que de montrer la sexualité que de raconter comment on en parlait à cette époque-là. Rien qu’entre les années 70 et les années 80, les « années Dorcel », la façon d’en parler différait. Raison pour laquelle la mise en scène de la sexualité à l’écran ne s’est pas vraiment posée.
Ce qui est drôle, c’est que, dans le premier épisode, chacun y va de ses métaphores et de ses images pour créer ce fantasme… C’était ce qui nous passionnait : de montrer comment le Minitel rose a réussi à susciter le fantasme à travers un clavier. Quand la pornographie arrive, comme on le voit dans la saison 2, les choses ont changé : le sexe devient plus frontal, donc le vocabulaire aussi. Logiquement, le Minitel rose doit s’adapter et a moins d’intérêt. On passe d’une ère où le porno est difficile d’accès à une ère où ces films sont diffusés une fois par mois sur Canal+ et disponibles en VHS. Derrière ça, il y a des enjeux financiers et même politiques.
3615 Monique devait compter une saison de plus que les deux que vous avez tournées. Où comptiez-vous emmener les personnages ?
Emmanuel Poulain-Arnaud : On avait effectivement envisagé la série sur trois saisons mais, OCS étant ce qu’elle est aujourd’hui, on n’a pas pu aller jusqu’au bout. On avait envie d’aller un peu plus loin, d’arriver, via une ellipse narrative, à l’avènement d’Internet. On égrenait déjà quelques indices sur le sujet en fin de saison 2. On avait des idées et des envies pour cette troisième saison, mais ce n’est plus vraiment entre nos mains.
Publié le 29 avril 2025