
The PITT, feuilleton absolu
par Benjamin Fau
Depuis le lycée, je sais bien que placer l’expression « entre tradition et modernité » n’est jamais vraiment une bonne idée, que ce soit au sujet du Japon, de la recette du bœuf bourguignon revisité à la fève de Tonka ou du dernier single de Patrick Sébastien remixé par des producteurs de techno minimale islandaise.
Et pourtant, difficile de ne pas y penser devant The Pitt, l’une des meilleures surprises de ce début d’année : la tradition, c’est celle du drama médical, la modernité, c’est tout le reste. Et The Pitt, ben c’est au milieu.
Car quand vous apprenez qu’un ancien producteur d’Urgences, John Wells, se lance dans une nouvelle série médicale située dans un service… d’urgences, avec de plus en tête d’affiche un des héros d’Urgences, Noah Wyle… on peut se dire qu’il n’y a pas d’Urgences (ah ah) à regarder The Pitt, à moins d’être fan transi de drama hospitalier, ce qui peut tout à fait se comprendre, et ne pas être repu de tous les Grey’s Anatomy, New Amsterdam, Docteur House (à ne pas confondre avec Mickey Mouse, bien sûr), The Good Doctor, Hippocrate ou consorts. C’est bien simple : après les policiers, les professions de santé sont les professions les plus représentées dans les fictions télé – est-ce un hasard ? Comme les policiers, dans la réalité, ce sont des professions qui manquent cruellement de moyens pour faire leur travail…
Et pourtant, dès les premières minutes, The Pitt vous saisit aux tripes pour ne plus vous lâcher. Même si vous croyiez avoir tout vu, blasé, fini, une opération au cœur ouvert au petit déjeuner, de la chirurgie oculaire en gros plan avant dodo, BLA-SÉ on vous dit !
Mes camarades vont sans doute parler bien mieux que moi de ce qui fait la force de The Pitt, au-delà de l’incroyable performance des acteurs, John Carter en tête (car oui, pour moi il s’appellera toujours John Carter, tant pis, le mal est fait), mais je voudrais quand même parler rapidement de ce que j’appelais « modernité » à propos de la série, et qui en fait une immense réussite.
Son format, d’abord, et le choix du feuilleton absolu : le feuilleton en temps réel. Celui-là même qui avait fait les beaux jours de 24 heures chrono dans les années 2000 et… c’est à peu près tout, parce qu’on a vite compris que c’était très mais alors très difficile à appliquer de manière efficace. Et voilà que The Pitt en tire le meilleur : le principe, c’est que la saison de 15 épisodes correspond à une seule garde : un épisode est égal à peu près à une heure de diégèse.

Alors bien sûr, on peut se dire, mais c’est déjà le cas dans toutes les fictions médicales, qu’autant d’emmerdements et de cas extrêmes qui vous tombent dessus en une seule garde, ce n’est vraiment pas de chance. Mais ce format temps réel est aussi l’occasion de supprimer les histoires « au long cours », celles qui s’étalent sur plusieurs saisons, généralement sentimentales. Il y a bien entendu du passif entre certains personnages, mais la série les photographie en un instant T, et dans des situations de crises qui mettent en jeu leurs relations sans jamais s’appesantir dessus, et pour cela on dit merci à The Pitt. Le temps réel est aussi une excellente façon de ne jamais laisser l’attention du spectateur s’endormir : comme dans la vie, tout peut arriver n’importe quand ; une situation peut être résolue en 2 minutes ou en plusieurs heures, etc. Le temps réel permet l’imprévisible, et je ne l’avais jamais autant ressenti que dans The Pitt.
L’autre tour de force de The Pitt, c’est sa manière de coller à la réalité de l’actualité de manière souvent bluffante. Non, ce n’est pas une « autopsie » entre guillemets du système hospitalier américain, encore plus moribond que le nôtre, mais plutôt une balayette-placage au sol suivi d’une fouille au corps dudit système hospitalier, soupçonné de brutaliser à la fois ses soignants et ses soignés.
Vous en parlerez certainement, et probablement mieux que moi dans Au Rayon Séries, mais certaines séquences, comme celle qui évoque les réticences d’une partie de la population face à la vaccination et à l’épidémie de rougeole qui est en train de s’ensuivre, sont tellement collées à l’actualité que la série donne l’impression de s’écrire en direct… Et puis, et peut-être surtout, quel plaisir de voir des personnages compétents exercer de manière compétente lesdites compétences durant TOUTE la série… Je me demande si j’ai vraiment revécu cela depuis… Ouh là, au moins depuis The West Wing.
Bien sûr, et hélas, il faut relativiser cette puissance de la fiction, parce qu’il ne pas oublier, que même si les Américains ont très souvent prouvé qu’ils étaient capables mieux que quiconque peut-être, de regarder en face leur propre société et leur propre histoire contemporaine immédiate, fût-elle très douloureuse, c’est quand même eux aussi qui se retrouvent à élire tranquillou Donald Trump. Deux fois.
Mais c’est une autre histoire, voire une autre série télé.
1er mai 2025
N.B. : Cette chronique a été écrite pour l’émission Au Rayon Séries (Fréquence Protestante), consacrée à The Pitt, et diffusée le samedi 3 mai 2025 et disponible en podcast.