Un Moyen Âge en clair-obscur : Le médiévalisme dans les séries télévisées, de Justine Breton

Justine Breton, Un Moyen Âge en clair-obscur. Le médiévalisme dans les séries télévisées.

Presses Universitaires François-Rabelais — Collection « Sérial », 2023

396 pages — Prix standard : 28 €

En quelques mots, de quoi ça parle ?

Facile, tout est dans le titre, ou plutôt dans le sous-titre : des représentations du Moyen Âge (imagerie, culture, structures sociales, mythes hérités, etc.) dans les séries télévisées au sens large, de Thierry la Fronde à Game of Thrones en passant par Kaamelott ou Vikings, mais sans oublier les dessins animés ni même les séries éducatives. Et de ce qu’elles révèlent sur notre époque, bien plus que sur le Moyen Âge lui-même.

C’est pour qui ?

À la fois pour tous ceux qui s’intéressent au Moyen Âge d’un point de vue historico-culturel et pour tous ceux qui s’intéressent aux fictions contemporaines, et qui considèrent que celles parmi elles qui font référence à d’autres périodes historiques nous apprennent autant, voire plus, sur la société contemporaine à leur écriture que sur la période historique en question.

C’est de qui ?

Justine Breton est universitaire et membre du Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modèles Esthétiques et Littéraires (Université de Reims Champagne-Ardenne). Elle a déjà publié plusieurs ouvrages sur les représentations médiévalistes dans les productions audiovisuelles, notamment sur Kaamelott (Kaamelott, un livre d’histoire, avec Florian Besson, chez Vendémiaire), les Monty Python (Monty Python : Sacré Graal !, chez Vendémiaire) et Game of Thrones (Une histoire de feu et de sang, avec Florian Besson, aux Puf). Son article « The Witcher, une fantasy par tous les temps » a été publié dans le numéro 1 de la revue Saison.

Vous aussi quand on vous parle de Moyen Âge à l’écran, c’est ce genre d’image qui vous vient ? A nous aussi. (Extrait de Game of Thrones, ©HBO)

OK, mais du coup, c’est vraiment bien ?

Alors oui. Depuis plusieurs années déjà, la collection « Sérial » des Presses Universitaires François-Rabelais, consacrée aux « manifestations du phénomène sériel sous toutes ses formes », parvient à publier des ouvrages alliant la rigueur parfois un peu sèche du travail universitaire et l’accessibilité à un plus large public, tant par le choix de ses sujets que par la clarté et le dynamisme de ses auteurs. L’enjeu est important, voire essentiel : oui, on peut traiter sérieusement, et en retirant des leçons de grande qualité, d’œuvres encore trop souvent reléguées au statut d’œuvres de grande consommation, de productions commerciales davantage qu’artistiques, etc. Le livre de Justine Breton s’inscrit dans cette perspective : l’imagerie « médiévaliste » (c’est-à-dire issue, dérivée ou directement inspirée de ce que l’on sait ou croyons savoir de la période historique correspondant au Moyen Âge) est présente dans de nombreuses séries télévisées, et ça veut bien dire quelque chose, à la fois sur ce que nous savons et sur ce que nous croyons du Moyen Âge — et donc, un peu aussi, sur nous.

La première chose à éclaircir, c’est donc le rapport affiché entre l’œuvre et son médiévalisme : on se retrouve en effet autant en face de séries qui se réclament d’une certaine vérité historique (Les Piliers de la Terre mais aussi Game of Thrones, même s’il s’agit ici d’une « histoire » de fantasy) que de séries qui prennent ouvertement des libertés avec celle-ci, pour raconter « autre chose » mais avec des repères familiers et signifiants (comme pour Kaamelott). Les anachronismes ne sont donc pas exclus en parlant de « séries médiévales », mais ils se mettent en général au service du récit. Deux autres tendances sont à souligner : les séries qui se réfèrent plus encore à un modèle littéraire qu’à un modèle historique (par exemple, elles peuvent respecter davantage l’esprit de la tragédie shakespearienne que celui de l’histoire proprement dite) ainsi que celles qui utilisent la porte d’entrée de l’humain et de la vie quotidienne, par opposition à l’épique, à l’héroïsme et aux grands espaces. Enfin, il ne faudra pas oublier les références aux Moyen Âge surgissant dans des séries qui n’ont rien à voir avec lui par ailleurs, et qui marquent l’image de celui-ci présente dans une certaine culture commune.

Reste à voir ensuite ce que représentent les séries médiévalistes : leur image de la noblesse, par exemple, et beaucoup plus rarement celle du peuple — parfois quand même du clergé et des intellectuels. Quelle est la place laissée aux minorités et à ceux qui se mettent volontairement ou non en marge de la société du temps ? Sans même parler des femmes et des enfants, plus souvent objets de conflits ou d’oppositions qu’agents de l’action (même s’il y a des exceptions, comme toujours). Le Moyen Âge nous évoque un certain tableau de sa société, et les séries s’y confrontent d’une façon ou d’une autre, en privilégiant souvent, comme le montre très bien Justine Breton, deux figures de personnages particulièrement enclins à se déplacer dans un monde très majoritairement sédentaire, voire immobile : celle du guerrier et celle du voyageur — deux activités très à même, reconnaissons-le, de provoquer des « aventures » dignes d’être racontées.

Des guerriers du Ve siècle en armures de plates du XVIe… C’est aussi cela le « médiévalisme ». (Extrait de Kaamelott)

Car la série est bel et bien un art du récit, et des personnages : il lui faut des figures mémorables et attachantes à qui il arrive des choses dignes d’intérêt. L’évolution des séries médiévalistes suit en grande partie l’évolution des séries en général : elle est d’abord peuplée de héros récurrents, nobles et preux, qui vivent des aventures souvent un peu répétitives dans un monde en très grande partie manichéen (c’est l’âge des Ivanhoé ou des Thierry La Fronde). Au fil des décennies, elles épousent les formes du semi-feuilleton ou du feuilleton tout court, multiplient les arcs et perspectives et se complexifient d’un point de vue narratif, mais également d’un point de vue de production : elles sont tout simplement de plus en plus chères à produire ! Ce qui améliore certainement l’immersion du spectateur et la précision historique lorsqu’elle a lieu d’être, mais qui entraine d’autres limitations et obligations (le budget d’une série est toujours un élément essentiel de son développement, même au niveau de l’écriture).

Quant au « clair-obscur » qui donne son titre à l’ouvrage, il s’explicite surtout dans les deux dernières parties, consacrées respectivement à l’imagerie « sombre » qui baigne la plupart des représentations du Moyen Âge (guerre, maladie, injustices institutionnalisées, pauvreté, saleté… n’en jetez plus, je préfère encore vivre en 2100 quand il fera 45° six mois par an à Paris), forcément trompeuse mais ô combien « romanesque », et à son pendant idéalisé, celui du temps des chevaliers, des valeurs héroïques et des contes féériques à vocation pédagogique.

Avec ce (très) rapide survol d’un texte bien plus riche, on comprend vite que la force de l’ouvrage de Justine Breton est double : ses analyses sérielles donnent envie de se replonger dans un corpus de fictions très large (81 séries) avec un regard neuf et un plaisir renouvelé, tandis que ses analyses historiques défigent nos représentations en élargissant le cadre et en nous offrant de passionnantes grilles de lecture — ou plutôt, ici, de visionnage. En 2023, il n’est plus nécessaire, nous l’espérons, de se demander si les fictions télé autorisent une étude « sérieuse » : c’est devenu une évidence. Sérieuse, oui, mais jamais rébarbative, obscure ou jargonnante : c’est un petit numéro d’équilibriste, sans aucun doute, mais ici parfaitement réalisé. L’intérêt du texte y contribue certes grandement, mais ce serait injustice de passer sous silence l’excellent travail accompli par l’équipe des Presses Universitaires François-Rabelais dans un domaine trop souvent laissé au second plan : la mise en page aérée et très agréable, doublée d’une riche iconographie.

Benjamin Fau

Pour en savoir plus :

Justine Breton répond aux questions de Benjamin Campion sur le blog Des séries et des hommes

Un épisode du podcast Quoi de neuf en histoire ? consacré à l’ouvrage.

Benjamin Fau, 17/03/2023

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