Un nouveau manuel pour étudier les séries

Compte-rendu de l’ouvrage de Laurent Jullier et Barbara Laborde, L’Analyse des séries, Paris, Armand Colin, 2024

Cet ouvrage de vulgarisation, présenté par son éditeur comme « le premier manuel dédié à l’analyse de séries télé », entend aider les étudiants du secondaire et du supérieur à aborder les séries télévisées dans un cadre scolaire. Vaste champ d’exploration, qui nécessite en préambule un état de l’art et des choix éditoriaux drastiques. Sur le premier plan, rappelons que plusieurs ouvrages de référence ont déjà défriché le terrain de l’analyse des séries et permis de s’y retrouver dans leurs méandres de production et de réception. Citons Les miroirs de la vie de Martin Winckler (2005), Décoder les séries télévisées dirigé par Sarah Sepulchre (2011) ou, sur le plan plus spécifique de la narration, Le Récit cinématographique d’André Gaudreault et François Jost (paru en 1990, puis augmenté chez Armand Colin en 2010 et 2017 pour intégrer les séries télévisées) et Écrire une série TV de Florent Favard (2019). Bref, il est grand temps d’affirmer que les séries télévisées ne sont plus une terre vierge dont on aurait tout à découvrir.

Pour aborder cet objet si particulier, Laurent Jullier et Barbara Laborde (déjà coauteurs de Grey’s Anatomy. Du cœur au care en 2012) assument de se concentrer sur le « style moyen » au sens de « ce qui revient le plus souvent », en considérant qu’il existe « peu de séries d’avant-garde » et que « tout est bon à analyser, même une terrible telenovela » (p. 5). Cette approche peut être corrélée à la forme mixte de l’ouvrage, qui dispense de nombreux intertitres, encadrés et illustrations (en noir et blanc) tout en renvoyant les notes de bas de page à un document numérique qu’il faut télécharger sur le site de l’éditeur – ce qui n’est pas pratique pour les étudiants souhaitant connaître la référence bibliographique de telle notion ou de telle citation. A contrario, une multitude de tableaux, schémas, énumérations, longues légendes voire formules mathématiques consolident l’académisme de ce manuel qui appelle à des relectures ciblées au gré des travaux à produire. En cela, l’index des notions fourni en fin d’ouvrage s’avérera des plus précieux.

Si ces gens ont autant de mal à terminer d’écrire leur épisode, c’est sans doute qu’ils n’ont pas lu « L’Analyse des séries » de Laurent Jullier et Barbara Laborde

Entre pluralité et spécificité

Dès l’introduction, les auteurs tiennent à rassurer leur lecteur : il s’agit de lui donner « quelques conseils de bon sens pour éviter le naufrage » (p. 13), considérant qu’« analyser une série, ce n’est pas difficile » (p. 14) quand on sait par quel bout la prendre. On lit plus loin que l’analyse filmique « ce n’est pas bien compliqué ; en quelques heures on a compris l’essentiel, qui est d’abord une question de vocabulaire » (p. 109). Pour nous guider, le plan suivi se veut lui-même « simple et chronologique » (p. 13) en ce qu’il aborde l’« avant » (chapitre 1), le « pendant » (chapitres 2 et 3) et l’« après » (chapitre 4) de la série. En termes plus universitaires, la démarche consiste à suivre des approches successivement génétique (l’objet de l’analyse), narratologique (le récit), filmique (le langage) et communicationnelle (la réception). Quitte à susciter la controverse, l’histoire et sa mise en forme sont ainsi traitées séparément, comme le recommandent les auteurs aux étudiants devant remettre un dossier sur une série (p. 241). Les analyses de séquences sont d’ailleurs regroupées en majeure partie dans le chapitre 3, qui décrypte douze stratégies audiovisuelles en mêlant formalisme et structuralisme (découpage, minutage, modélisation) et en se focalisant bien souvent sur le pilote de la série étudiée.

Bien qu’assez large, le corpus se concentre essentiellement sur une « certaine culture mainstream actuelle » (p. 237) émanant de la France et, surtout, des États-Unis, partant du constat que le modèle américain « semble informer tous les autres » (p. 235). On se permettra cependant de remettre en question un certain nombre d’informations factuelles liées à cette industrie si spécifique : « la publicité n’est pas diffusée en tant que telle » sur les plateformes de vidéo à la demande (p. 45), « dans l’univers sériel, tout peut s’expliquer par des raisons financières ou industrielles » (p. 50), « avant le binge-watching, les showrunners rechignaient à multiplier les grandes arches » narratives (p. 72), « les séries obéissent à des logiques de niche » (p. 105), Game of Thrones serait « revenu au rythme hebdomadaire de la télévision linéaire » après un « revirement » (p. 196). On s’étonnera également de certains conseils prodigués en conclusion d’ouvrage, en ce qu’ils ouvrent un débat sur les méthodes d’apprentissage scolaire plus qu’ils ne le referment. Il est en effet recommandé aux étudiants de « répondre aux attentes » de leur examinateur en « trouvant des infos sur ce qu’en face on attend de vous » (p. 239). Les auteurs ajoutent que l’analyse est un « exercice ingrat, voire pénible » (p. 246) et recommandent à l’orateur, pour éviter que « l’auditoire ne s’évanouisse d’ennui », d’ouvrir sa présentation de l’œuvre choisie par une « scène-choc » et de la conclure en « donnant son sentiment sur la série » (p. 246). Plus surprenant encore, l’étudiant se voit invité à « utiliser l’intelligence artificielle » pour connaître la doxa inutile à répéter lors de son analyse (p. 247). Tous ces points mériteraient d’être débattus après la lecture de cet ouvrage élémentaire, ouvertement destiné à « tracer une “toile de fond” » (p. 235) sans viser l’exhaustivité – exercice vain par définition.

03/07/2024

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