Fionna and Cake, une ode à l’amitié

par Chayili Dunet-Centrone

Fionna and Cake, série animée lancée fin 2023, est un spin-off de la série d’animation Adventure time (2010-2018), dont l’histoire prend place dans le monde fantastique et surtout magique de Ooo (les deux séries sont visibles sur Max).

Il s’agit en réalité de notre monde des centaines d’années après une guerre nucléaire, où les survivants ont dû faire face aux radiations, aux mutants, mais aussi au retour de la magie dans le monde. Forcés de s’exiler sur des îles pour se protéger, les derniers humains incapables de s’adapter à cet univers devenu hostile, disparaissent de la surface du globe.  Seul l’un d’eux reste sur le continent : Simon Petrikov. Ce qui lui permet de rester en vie pendant plus de mille ans est un pouvoir, ou plutôt une malédiction, celle de la couronne qui l’a maintenu en vie en tant que Roi des glaces. Jeune archéologue, il est fasciné par les artefacts magiques, et avec l’aide de sa fiancée Betty Groff, il parcourt le monde pour en étudier le plus grand nombre. Un jour, il découvre la couronne, mais après l’avoir mise pour amuser sa fiancée il perd le contrôle de lui-même, et Betty disparaît de sa vie. Plus tard, ses pouvoirs vont permettre de protéger Marceline, une enfant trouvée dans les décombres, mais il finira par s’éloigner d’elle car, à chaque utilisation de la couronne, le Roi des glaces devient plus fort et plus dangereux. La chronologie est floue, mais il est sûr qu’il va passer près de 1100 ans « effacé », 1100 ans en tant que sorcier, fou, sans aucun souvenirs de sa vie d’humain. Pendant ce laps de temps, l’univers de Fionna et Cake sera placé dans l’esprit malade du Roi des glaces (cet univers était donc tout aussi fabuleux que le monde d’Ooo) influencé par sa psychée délirante. Mais une fois que Simon s’est libéré du maléfice, le monde merveilleux de Fionna est devenu… banal.

Une recherche de soi aux racines philosophiques

Fionna and Cake propose une quête de soi qui prend racines dans le stoïcisme. Pour le comprendre il faut d’abord expliquer ce qu’est cette philosophie hellénistique. Fondée à Athènes au début du troisième siècle avant JC, elle prône la maîtrise de soi, la paix et l’acceptation de son destin. Le but est de vivre en harmonie avec soi-même et les autres en cultivant la vertu et en se libérant des passions destructrices. Car si la nature est dotée de raison, les humains se doivent de vivre en harmonie avec elle. Cela passe par l’acceptation des événements externes comme des faits qui forment un tout universel.

La vertu découle des qualités morales : justice, courage, sagesse, tempérance -qui permet le bonheur véritable (eudaimenia). L’Amor fati est l’acceptation inconditionnelle de ce qui nous arrive – même les événements les plus difficiles – puisque cela fait partie de ce tout cosmique. Il faut donc aimer son destin envers et contre tout. Pour cela il faut prendre conscience du monde qui nous entoure, via la méditation quotidienne avec une réflexion sur ses actions, une visualisation négative des choses les plus terribles (se préparer au pire) pour apprécier le présent, pour prendre conscience que toutes les choses sont temporaires, bonnes comme mauvaises.

Or, dans cette série de 10 épisodes, les deux personnages principaux se sentent prisonniers de leur condition (Fionna et Simon), avec l’impression de subir leur destin, que leurs malheurs ne prendront jamais fin et que leur seul échappatoire, est de tout lâcher. Simon souhaite détruire sa sanité pour redevenir Roi des Glaces et retrouver un quotidien farfelu, qui serait à ses yeux beaucoup plus sensé, dans un monde qu’il ne considère plus comme le sien. Lors d’une discussion avec Finn Mertens, protagoniste de la série Adventure Time il dit :

-I’m not ice king, I’m not magic, I can’t relate […] to this world, these peoples

-But there is more humans than ever now […]

-Eh sure. Cool, funky, futury humans. I’m might as well be a dinosaur to you all.

Fionna, quant à elle, souhaite détruire son univers pour en reconstruire un nouveau dans lequel elle aurait l’impression de totalement s’épanouir.

Fionna: un appel au vivre ensemble

Fionna and Cake apparaît donc comme une histoire qui parle de la recherche de soi et de sa place dans le monde.

Une recherche de soi qui passe en réalité par les autres, et c’est une morale que les personnages vont apprendre au fur et à mesure du récit. Nous sommes emportés dans cette idée de retrouver un monde fantastique. Quitte à ce que Simon redevienne fou, malheureux (car c’est perçu dans un premier temps comme utile pour tous).

Les personnages se laissent porter par leur désir personnel, sont persuadés d’avoir enfin une possibilité de changer leur situation et se jettent avec beaucoup de cœur dans l’aventure. Voyageant d’univers en univers à la recherche d’une couronne que Simon pourra enfiler pour redevenir fou. Leurs destins vont se mêler à ceux des gens qu’ils vont rencontrer, aux mondes qu’ils vont explorer et aux antagonistes qu’ils vont devoir affronter (en passant par des brutes, des vampires, et même d’autres mages).

Ce faisant, ils défient les lois de la nature, de la raison (en fuyant leurs univers respectifs pour trouver une autre couronne), et ne s’alignent pas avec la vertu. Ils vont voler, être violents, mentir et avoir un rapport très utilitariste aux autres, passant de monde en monde, sans réellement prendre conscience des dégâts qu’ils vont causer. Alors que les conséquences de leurs actions qui iront parfois jusqu’à la mort de certains personnages !

Ce n’est qu’à partir de l’épisode 6, The Winter King, que Fionna se rend compte du mal qu’elle a causé pour satisfaire égoïstement ses désirs irrationnels. Après une scène de combat, elle réalise que tous les personnages qu’elle a massacrés jusque-là ne sont pas des ennemis, mais bel et bien des citoyens du royaume de la confiserie,

victimes d’un maléfice.

Le Royaume de la confiserie, du monde de Ooo

Jusqu’à présent, elle considérait cette quête comme un jeu- épisode 5, Destiny. Elle dit :

« Relax dude, I’ve played a lot of post-apocalyptiques RPGs, the more loot, the better! ».

Un désintérêt de ce qui vivent les autres qui s’explique de deux façons : comme ça ne se passe pas dans son univers, et que celui-ci sera de toute manière effacé, alors ça n’a pas beaucoup d’importance. Mais c’est aussi lié à un aveuglement dû à une revendication de légitimité. Si elle est malheureuse, c’est parce que le monde lui refuse ce bonheur, il est donc légitime qu’elle reprenne au monde le bonheur qui lui est dû. Quitte à agir très égoïstement.

Épisode 6, The Winter King: Fionna en plein combat

Ce faisant, elle s’éloigne des valeurs du stoïcisme et elle est punie à l’intérieur même du récit. Punitions qui s’incarnent par d’énormes remords et une énorme crise existentielle.

Si dans un premier temps Fionna se permet de mépriser les autres (en repoussant les mains tendues par ses amis, son entourage en préférant se morfondre et rêver d’une autre existence), c’est après le choc de l’épisode 6 que son rapport au monde change.

Elle fera preuve de beaucoup plus de bienveillance par la suite, décidée à se rattraper (même si très impulsive, elle est plus courageuse).

C’est un apprentissage de l’humilité, de la douceur, de l’héroïsme qui se fait aux côtés de nouveaux compagnons (et principalement de Simon) contrairement aux premiers épisodes ou cela se fait à leurs dépens. Avec une fâcheuse tendance au début de son odyssée à intervenir brutalement, se laisser porter par l’excitation et l’envie de se battre.

Une évolution qui va payer ! Dans le dernier épisode, son univers tout entier menace de disparaître, c’est à cet instant qu’elle réalise qu’elle ne veut pas le perdre :

« If we die, we die togethers, as ourselves »

Elle ne veut pas perdre ses amis, son quotidien, sa ville, même si elle a eu pendant longtemps l’impression d’être seule ; ce qui n’a jamais été le cas. Son entourage n’a cessé de lui tendre la main, de proposer des alternatives à son quotidien morose, de faire des activités, de passer du « temps de qualité ».

Mais Fionna, déçue de son travail, était restée enfermée dans un cercle vicieux d’autodestruction, dans lequel elle se contentait de fantasmer une vie autre vie, alors que la solution est était sous ses yeux : agir sur le présent, agir avec les autres. C’est en vivant, en expérimentant des choses humaines, des choses concrètes qu’elle sort d’une vision du monde autocentrée pour devenir plus empathique.

La « scène du Pissenlit » est particulièrement touchante, puisqu’il s’agit du moment décisif d’une bataille dans le dernier épisode, « Cheers ». L’univers de Fionna n’est pas autorisé, et Scarab est chargé de le faire disparaître. Pendant qu’elle et tous ses amis luttent pour protéger leur ville, Simon est en pleine épiphanie : Golbetty – fusion de Glob et de Betty- extrait ce monde de sa psychée. Celui-ci le restitue à Fionna sa réalité qui à pris la forme… d’un pissenlit !

C’est enfin l’instant où elle a la possibilité de faire un vœu et de choisir à quoi son futur va ressembler. C’est à ce moment-là que son contrôle est le plus total. Elle a enfin atteint son but. Elle a enfin la possibilité de tout détruire et de reconstruire le monde comme elle le souhaite. Après avoir réfléchi à sa condition, expérimenté le monde et l’impact qu’elle a sur les autres, Fionna change d’avis et accepte. Elle accepte de vivre dans un monde qu’elle a longtemps considéré comme médiocre. Elle accepte de continuer d’évoluer dans un monde qui peut être dur. Parce qu’elle s’est rendue compte qu’il y a bien pire ailleurs, et parce qu’elle s’est rendue compte de l’impact qu’elle a sur les gens (positifs comme négatifs). Il serait tout à fait cruel de se permettre de tout détruire juste par insatisfaction personnelle, effacer la vie d’autrui pour réaliser un fantasme personnel. On est ici dans l‘acceptation de l’impermanence.

La nature étant rationnelle, il est donc essentiel de vivre avec elle et c’est ce que va faire Fionna. Elle va vivre en raison de la nature et c’est en s’ouvrant au monde, en se concentrant sur les choses qu’elle peut contrôler, c’est-à-dire principalement, ses relations que son monde va s’illuminer.

Épisode 10 Cheers: Fionna dans la scène de bataille finale

L’Amor fati : embrasser l’avenir

Épisode 10 Cheers: Simon et Golbetty

Simon Petrikov a une évolution assez similaire à celle de Fionna : une vision du monde qui est la même au départ. Incapable de se concentrer sur le réel, le présent, il ne cesse de pleurer la perte de sa fiancée et refuse tout lien avec ses congénères. Aveuglé par ses passions destructrices, il finit par accepter l’idée de redevenir fou pour pouvoir s’intégrer au mieux- il refuse d’accepter l’impermanence des émotions et s’accroche vainement à sa tristesse.

Je parle bien de sa tristesse, car même s’il plaint Betty (forcée de fusionner avec le Dieu du chaos pour protéger Simon) il reste au centre de la réflexion. Personnage plutôt autocentré, donc qui malgré le sacrifice de Betty pour briser le maléfice qui le liait au roi des glaces, il est prêt à tout détruire pour se sentir mieux : il n’apprécie pas assez les efforts de sa fiancée, qu’il considère quelque part comme acquise.

Cette problématique est mise au centre de l’épisode 10 (« Cheers ») qui montre que

Simon n’a jamais pris en compte les désirs de Betty. Bien sûr qu’ils s’aimaient tendrement et elle était ravie de le suivre dans toutes ses aventures, mais cette obsession l’a poussée à s’effacer, elle n’est jamais partie étudier les hiéroglyphes, elle n’a jamais produit de thèse seule, elle a toujours vécu dans l’ombre de Simon. Allant jusqu’au sacrifice de son humanité pour protéger son fiancé.

Adventure Time : Betty fait le voeu de protéger Simon coûte que coûte

Sauf qu’elle a embrassé sa condition. Betty accepte sa fusion avec Golb (le Dieu du chaos) et va de l’avant. Son destin fait partie d’un tout cosmique, son malheur n’est que temporaire ; nous sommes ici dans l’Amor fati. Si elle chérit les souvenirs de sa vie avec Simon, elle ne se contente pas de pleurer sur son sort et avance. La scène du bus (l’adieu) est une épiphanie pour Simon qui réalise les conséquences de ses actions.

Le texte qui s’affiche à l’avant du bus se traduit par « comète », synonyme de réincarnation dans ce monde. Après avoir accepté sa condition, Golbetty le renvoie dans son univers, et se réincarne… en papillon. Simon se réveille, la voie et sourit. C’est terminé, la vie reprend son cours. Elle va vivre sa vie de papillon, mourir et renaître ailleurs. Lui va vivre sa vie d’humain, entouré de gens qui tiennent à lui avant de mourir et de renaître. Ils s’alignent avec la nature et son cycle. Ce n’est qu’après avoir jeté sa couronne qu’il obtient le pissenlit et devient capable d’influencer le présent et de sauver ses amies. C’est par l’Amour fati que Simon est capable de tourner la page, de s’intégrer dans la communauté, en allant même chez la psychologue (comme une autre façon de méditer).

Une série pour une génération en quête de sens

Fionna and Cake est un dessin animé qui a grandi avec son audience. Si Adventure time est sorti dans les années 2010, sa suite s’adresse toujours à la même audience, ces enfants qui sont désormais de jeunes adultes et qui font face aux mêmes questions existentielles. Et si dans un premier temps, on rêve comme Fionna d’une aventure folle qui nous permettrait de sortir d’un quotidien qu’on juge plutôt négatif, plutôt dégradant et globalement pas satisfaisant, ce n’est qu’en acceptant celui-ci qu’on finira par complètement s’épanouir. Un message qui s’appuie sur une véritable acceptation stoïcienne… qui passe par les autres. Lors de sa discussion avec Golbetty, Simon explique ainsi:  « I’ve met two people who really needed my help, Fionna and Cake ». C’est un moteur qui lui permet de reprendre sa vie en main. Un bonheur qui s’illustre et se déploie dans les interactions avec les gens autour de lui et et donc autour de nous. La dernière réplique de la série, est laissée à Fionna qui déclare :

« Ah… Just a normal world ».

Notre monde est beau. C’est un conseil à une génération tourmenté par la situation politique, économique, écologique, sociale. Nous pouvons tous faire une différence, en commençant par s’ouvrir aux autres et vivre pleinement. Nous ne sommes pas le centre de l’univers, nous faisons partie d’un tout, d’une planète qu’on partage avec d’autres êtres. Et c’est très bien comme ça.

épisode 10 Cheers: Scène finale, amor fati



21/01/2025

Comments

  • Lup1

    Quel super article, ça m'a vraiment donné envie de voir les séries et d'en apprendre plus sur l'univers !

  • Egg

    Un article vraiment bien écrit qui donne envie de découvrir les séries citées !

  • Mystérieux Vi

    Comme tu le dis, "on rêve [tous] comme Fionna d’une aventure folle". Plongée dans ses rêveries, notre génération cherche dans ses fictions et ses voyages (jeux vidéos, voyages en Australie, dans l'oasis artificiel de Dubai) cette folle aventure (individualiste). Le bonheur passe par les contraintes et l'acceptation d'une vie qui est en elle-même une aventure folle parce qu'elle assume qu'il y a une voie du bon, une voie juste dans chaque situation.

  • Mystérieux Vi

    Comme tu le dis, "on rêve [tous] comme Fionna d’une aventure folle". Plongée dans ses rêveries, notre génération cherche dans ses fictions et ses voyages (jeux vidéos, voyages en Australie, dans l'oasis artificiel de Dubai) cette folle aventure (individualiste). Le bonheur passe par les contraintes et l'acceptation d'une vie qui est en elle-même une aventure folle parce qu'elle assume qu'il y a une voie du bon, une voie juste dans chaque situation.

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