
Focus sur… Slow Horses
Chronique tirée du podcast Intersaison 19
par Benjamin Fau
Il n’y a que deux genres de personnes dans le monde : ceux qui n’ont jamais regardé le moindre épisode de Slow Horses et ceux qui passent leur année à répéter à tout le monde autour d’eux qu’il faut absolument regarder Slow Horses.
Une série qui s’appelle, si on traduit mot à mot comme on ne doit jamais traduire, « Chevaux lents ». OK. Qu’est-ce que ça veut dire ?
En fait, c’est l’adaptation d’une série de romans d’espionnage signés Mick Herron, publiés depuis 2010 et dispo en France chez Actes Sud et en poche dans la collection Babel, des best-sellers en Grande-Bretagne et on comprend pourquoi. Le titre du premier volume est traduit en France par La Maison des Tocards, et tocards est une manière un peu expéditive, mais pas fausse, de traduire ce « Slow Horses ».

Ces Tocards, ce sont des agents du MI5 qui se retrouvent mis à l’écart de l’agence de renseignement, littéralement mis au placard, dans un lieu qui s’appelle « L’Étable » et sous la direction d’un certain Jackson Lamb, patron grossier, misanthrope et asocial, parfaitement odieux envers parfaitement tout le monde. S’ils sont ainsi mis au placard, ce peut être à la suite d’une faute grave, d’un mot plus haut que l’autre envers la mauvaise personne, parce qu’ils savent quelque chose qu’ils ne devraient pas savoir, etc. Dans les services secrets anglais, quand on doit vous faire disparaître et oublier à tout jamais, on ne vous liquide pas : on vous transfère à l’Étable sous la direction de ce Jackson Lamb (dont le nom signifie « agneau », le champ lexical est respecté.)
Bien entendu, ce n’est pas si simple : les Tocards n’en sont pas vraiment. Et le destin les fait toujours se mettre au travers de la route des « vrais » espions. Parfois, leur hiérarchie les utilise comme de la chair à canon — et ça ne se passe pas comme prévu. Parfois, ils tombent sur une information passée inaperçue de tous — et ça ne se passe pas comme prévu. A chaque saison, une nouvelle affaire, qui commence par un détail ou un grain de sable dans un rouage. Mais également une histoire plus globale, qui traverse les quatre saisons déjà sorties, et qui concerne notamment le passé de Jackson Lamb.

De l’espionnage donc, mais très loin des clichés à la James Bond. La guerre froide c’est très loin désormais, il n’y a même plus de méchant à proprement parler, sinon le spectre sans visage du terrorisme international. Les adversaires à combattre, dans Slow Horses, naissent pour la plupart de la plus complète absurdité : des erreurs du passé, des conflits hiérarchiques qui dégénèrent, les restes des guerres passées qui refusent de mourir en paix. C’est une vision très noire de l’espionnage moderne en tout cas, très anxiogène, et absolument pas héroïque. Mais racontée avec une gourmandise narrative et un sens du rythme remarquables.
Et l’une des qualités les plus évidentes de Slow Horses c’est bien ça : la série maintient la tension comme peu de séries savent le faire. C’est un vrai feuilleton à rebondissement comme on les aimait dans un temps pas si lointain, un art qui a tendance à disparaître dans les productions formatées pour le streaming. Ne cherchez plus : les meilleurs cliffhangers de fin d’épisodes contemporains sont dans Slow Horses, et je vous mets au défi d’arrêter la série en cours, de résister à la tentation de regarder l’épisode suivant, quitte à attendre une semaine pour cela, puisque la série est diffusée chaque automne sur Apple TV+ au rythme d’un épisode par semaine. En matière de rythme et de suspense, Slow Horses frôle la perfection.

Ensuite, il y a les personnages. Car Slow Horses est une série relativement chorale : même si certains personnages sont plus mis en avant que d’autres, tous sont immédiatement attachants. Tous les membres de l’équipe ont leur personnalité, leur écriture propre, leurs défauts et leurs qualités, et on se prend à tous les aimer pareillement (attention d’ailleurs à ne pas trop vous attacher, car la série a une tendance très Game of thrones-esque à ne pas épargner ses personnages). Mais bref : en matière d’écriture chorale, Slow Horses est une série à montrer dans les écoles de scénaristes.
Et puis enfin, comment ne pas parler de Gary Oldman, habitués des rôles caméléons dans des blockbusters ciné comme Dracula, Harry Potter ou Léon (qu’est-ce qu’il était mauvais dans Léon, mes aïeux, mais c’est une autre histoire). En Jackson Lamb, avec sa mauvaise humeur permanente, ses remarques odieuses continuelles, ses flatulences comme moyen de communication de base, son goût immodéré pour l’alcool et la mauvaise bouffe chinoise, mais surtout son incroyable compétence en matière d’espionnage — parce que c’est AUSSI un grand espion, même s’il n’utilise son savoir-faire qu’avec un maximum de parcimonie, c’est proprement le rôle de sa vie.
Alors j’espère vous avoir donné envie de regarder au moins un épisode ou deux de Slow Horses. Faites-moi confiance : c’est le début d’une addiction.
02/02/2025