Pourquoi le format sériel attire les fans ?

par David PEYRON.

Le  GER Fans, labellisé par la Société française des sciences de l’information et de la communication, est un collectif de chercheuses et de chercheurs dont les travaux portent, entre autres, sur l’analyse des fans et de leurs pratiques. Qu’il s’agisse de recherches récentes, de grands classiques ou encore de la présentation du domaine des fan studies, ses membres exploreront ici différents aspects de ce riche phénomène.

Il existe aujourd’hui des fans de tout : sport, musique, fiction, et même de personnalités (influenceurs, Youtubeurs, streamers, etc.), mais il apparaît comme une évidence pour le sens commun comme pour le monde de la recherche que les séries et leurs communautés sont un cas particulier et plus massif que dans bien d’autres domaines. Les passionnés de séries sont très visibles sur les réseaux sociaux, ils sont à l’origine historiquement d’un grand nombre de fan-clubs, et quand on pense fan on pense généralement aux séries et à la musique en premier lieu.

Et, de fait, les recherches académiques sur les fans de séries ont un poids important dans le domaine des fan studies ou études de fans. Les travaux fondateurs du mouvement, comme ceux de John Fiske ou Henry Jenkins, portent d’ailleurs largement sur ce type de fictions avec une place toute particulière pour Star Trek. De même, si l’on élargit la question pour aller de la série télévisée à tous les formats sériels, les grandes sagas qui attirent le plus de fans aujourd’hui rentrent dans ce cadre de fictions découpées en épisodes (Star Wars, Harry Potter, Marvel Cinématic Universe, etc.) Comment expliquer alors la place des séries lorsqu’on parle d’être fan ? Qu’est-ce qui fait de ce format un contenu qui est accompagné de communautés aussi enthousiastes et mobilisées ? Essayons de donner quelques éléments.

En route vers la convention…

Pour un premier indice, on peut se pencher un peu sur l’Histoire. L’un des premiers grands mouvements de fans qui va donner la forme moderne du phénomène est celui qui se forme autour d’un personnage que tout le monde connaît encore aujourd’hui, le personnage le plus adapté au cinéma. Vous l’avez ? (Je vous laisse quelques secondes). Oui, il s’agit de Sherlock Holmes ! Un héros surtout développé par de courtes nouvelles publiées dans des journaux anglais. Même si les épisodes peuvent être lus de manière assez indépendante, il s’inscrit dans une tradition typique du XIXe siècle, celle du feuilleton diffusé dans la presse et qui fera en France le succès d’auteurs comme Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Raconter les aventures de héros récurrents via une diffusion épisodique dans la presse marque la naissance du format sériel moderne et aussi des communautés qui se forment autour de ces formats. Viendront ensuite les feuilletons radio, les pulp magazines et les sérials (diffusés au cinéma) aux États-Unis, les comics, et bien sûr nos séries télévisées contemporaines.

Mais alors pourquoi ces formes ? Déjà parce que cette histoire renvoie aussi à une histoire industrielle, il s’agit de la massification de la diffusion du contenu qui permet qu’un très grand public ait accès en même temps à la même chose. Et dans cette masse, une petite partie va s’investir plus particulièrement, ce qui est plus facile quand beaucoup sont touchés, quand l’objet est très accessible. Si l’on y ajoute la récurrence d’un même héros, d’un même univers, d’un même cadre, cela permet un attachement à long terme et une discussion permanente sur la dernière occurrence ou la suite de l’histoire. Les fans ne représentant qu’une petite partie du public d’une œuvre, alors pour que le phénomène devienne massif il faut une diffusion massive.

Et puis (et c’est là que notre ami Sherlock revient), il y a l’attente. Parce qu’installer une récurrence c’est aussi installer une avidité d’avoir la suite, d’avoir le nouvel épisode et un désir de combler le temps en attendant. Ainsi, Arthur Conan Doyle, lassé par son personnage et son succès qui dépassait celui de ses autres créations (romans historiques, essais mystiques) avait décidé de le tuer (pardon pour le spoiler) en 1893. Il se consacre ensuite à d’autres projets, mais pendant ce temps, son public, en particulier les plus passionnés, éprouve un vide, encore plus grand que lorsqu’il attendait une nouvelle histoire. C’est là que vont se développer des clubs d’amateurs du détective, que certains vont rédiger des parodies et autres relectures, et que d’autres vont écrire à l’auteur pour lui réclamer une suite. On voit naitre alors bien des phénomènes de fans contemporains : regroupement, créations participatives et mobilisation pour la poursuite de la série. Et, sous la pression des fans (ainsi que la pression financière), Conan Doyle a finalement fait revenir son protagoniste dix ans plus tard et a continué à écrire ses aventures jusqu’à sa mort.

Même si cet exemple historique est extrême, le fait de combler l’attente inhérente au format sériel est une explication centrale de la place particulière des fans dans cet écosystème. Beaucoup de fans rencontrés dans les recherches sur le sujet expriment s’être sentis particulièrement investis ou s’être rapprochés d’autres passionnés formant de fait un fandom, une communauté, parce qu’ils étaient choqués de la chute d’un épisode ou pour tenir en attendant la saison suivante. L’aspect épisodique, et donc morcelé, du format pousse à occuper le terrain, à vouloir exprimer sa passion, à créer de la conversation, voire du contenu (fanfictions, fan-arts, fanfilms, etc.) à revoir les épisodes passés, et donc à se constituer en tant que fan au sein d’un réseau interconnecté d’autres amateurs de l’œuvre.

On peut ajouter à cela que la série, par essence, se déroule sur un temps long, plusieurs saisons sur plusieurs années, donc l’attente est associée aussi à un accompagnement de la vie des individus. « Cette série c’est la série de mon adolescence », « ça, c’est toute mon enfance »… Des phrases que beaucoup de fans ont prononcées et qui montrent l’effet d’accompagnement qui est provoqué par ce type de fiction.

Une œuvre moins durable peut aussi faire l’objet d’un tel culte mais les grandes sagas qui nous suivent et avec lesquelles on évolue contribuent plus facilement à induire un investissement identitaire fort, c’est-à-dire que cette œuvre participe à nous définir. On va alors revoir régulièrement sa série culte comme un rituel annuel par exemple, et éprouver une émotion particulièrement forte lors de la fin car on a l’impression d’une forme de deuil envers des personnages qui nous ont suivis des années. Et puis, cette fin justement, peut aussi provoquer une mobilisation, une crainte de l’annulation. Les travaux sur les mouvements sociaux depuis Karl Marx nous ont montré qu’une communauté s’éprouve, se ressent comme telle, surtout en cas de victoire ou de défaite commune. La série étant de fait un objet fragile, soumis à des logiques de production et d’audience qui peuvent faire en sorte que l’histoire ne soit jamais terminée, cela pousse justement les amateurs à se rapprocher, à se faire entendre, à faire corps et donc à faire valoir leur statut de fans assidus et passionnés. C’est justement cela qui a fait de Star Trek un phénomène si particulier, puisque devant l’annulation de la série la mobilisation massive du fandom a permis la sortie d’un dessin animé, d’un film, puis de nombreuses autres formes de continuation. Depuis, nombreux sont les exemples de fans se faisant mouvement revendicatif.

On peut alors voir les fans comme une forme de contre-pouvoir face à des logiques industrielles qui certes permettent un accès large et partagé à des contenus, mais aussi peuvent vite les décevoir ou ne pas tenir compte de leurs attentes. Faire groupe, faire corps et donc se revendiquer fans est ainsi un moyen pour faire pression, pour contester, jusqu’à parfois aboutir à des comportements plus problématiques (harcèlement en ligne, attaques violentes sur des acteurs ou créateurs) nommés toxic fandom par les chercheuses et chercheurs qui se penchent sur le sujet.

Pour reprendre une phrase fameuse, on ne nait pas fan, on le devient, c’est un processus qui se construit entre émotions ressenties face à une œuvre, et sociabilités diverses. Ainsi, l’aspect récurrent, le temps long, le rythme épisodique morcelé, et la puissance de frappe des industries culturelles dans un contexte numérique où l’on peut en retour exprimer son mécontentement, constituent des éléments qui permettent de mieux comprendre pourquoi les séries sont un cadre qui favorise l’apparition de communautés de fans.

25/10/2024

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