Les séries, c’est plus ce que c’était

par Marion MICLET, le 20 janvier 2022

Une version plus courte de cet article a été publiée sur Le Point Pop en février 2020.

Sur ce thème, voir aussi le numéro 2 de notre revue consacré à la fin des séries.

Modern Family, Marvel’s Agents of S.H.I.E.L.D., Supernatural, Shameless… en 2020-2021, les fans de séries ont dû se séparer de quantité de personnages qui les avaient accompagnés pendant de nombreuses années. Qu’elle soit annoncée en amont ou précipitée par des circonstances extérieures au processus créatif (MeToo, CoViD-19), la fin d’une série est toujours traumatisante. Le blues post-final s’explique en partie par le fait qu’en immersion télévisée, notre cerveau produit de la dopamine qui engendre une agréable sensation de flow : un état psychologique où notre concentration est maximale. L’autrice polonaise Olga Tokarczuk a théorisé le pouvoir hypnotique du petit écran dans son discours de réception du prix Nobel de littérature 2018. Selon elle, la narration télévisée est novatrice dans sa façon de décrire le monde, car le découpage en saisons crée la nécessité de « fins ouvertes ». Les séries nous tiennent en haleine en repoussant continuellement la catharsis, ce sentiment de libération qui provoque un soulagement chez le spectateur. L’arrêt d’une œuvre interrompt donc cet état de transe individuelle, qui fait alors place au deuil.

Les séries qui s’en sont le mieux sorties nous ont offert des happy ends fédérateurs (Friends, Urgences), ou des séances de larmes exaltantes (Six Feet Under, Fleabag). La sitcom impertinente Seinfeld a baissé le rideau devant une audience record, mais son verdict (rappelez-vous la fameuse scène au tribunal) laisse encore à ce jour un goût amer. Si l’épisode final fait souvent l’objet de débats ad infinitum (Lost, How I Met Your Mother, la pétition exigeant la réécriture de la saison huit de Game of Thrones), une chose est sûre : le déchirement ressenti par le public suite à la disparition d’un univers fictionnel est, lui, bien réel. Pour reprendre le modèle Kübler-Ross des cinq étapes du deuil, avant d’en arriver à l’acceptation, les spectateurs doivent faire face au déni, à la colère, à la négociation et à la dépression. Cette classification qui date de 1969 a depuis largement été discréditée par la communauté scientifique, mais elle reste utile pour examiner l’influence de la pop culture sur nos émotions. Inévitablement, arrive un moment où les fans surmontent leur chagrin et s’investissent dans une nouvelle œuvre. Mais force est de constater que depuis quelques années, ce cheminement s’est accéléré : en autant de temps qu’il faut pour dire « tou-doum », certains ont tourné la page sur quatre saisons de 13 Reasons Why pour entamer Dash & Lily, un autre teen drama à portée de clic sur Netflix. Dans quelle mesure les innovations récentes de l’industrie télévisée ont-elles impacté le comportement et les attentes du public vis-à-vis de la fin des séries ?

À l’aube des années 2000, la création sériephile entre dans un âge d’or dont l’acte de (re)naissance est signé HBO. Dans la foulée du succès de Oz et des Soprano, de nombreux auteurs se retrouvent propulsés au poste de showrunner : David Simon, David Milch, Matthew Weiner, Vince Gilligan. Leur génie (et hégémonie) est le dénominateur commun des meilleurs opus de cette nouvelle vague qui donne la part belle aux personnages de antihéros, de The Wire à Breaking Bad. Vingt ans plus tard, le paysage audiovisuel apparaît métamorphosé. Les profils des créateurs populaires se sont diversifiés, pour faire place davantage aux femmes, millennials et minorités. L’abondance et la variété des contenus (séries de prestige, mais aussi dramédies, mini-séries, œuvres semi-autobiographiques, Shondaland, Murphyland…) est telle que, depuis 2015, nous avons basculé dans le régime de la « Peak TV », fameuse expression inventée par John Landgraf (PDG de la chaîne câblée FX) qui implique l’idée d’un excès de production. La stratégie de Netflix de sortir d’un seul coup (d’éclat) les treize épisodes de la saison inaugurale de House of Cards en 2013, proposant ainsi à ses abonnés une expérience de visionnage ininterrompue (« binge-watching »), contribue à cette révolution. S’ensuit un déferlement des productions originales estampillées du logo N rouge, qui a pour effet de booster la concurrence. La majorité des séries étant désormais disponibles en streaming, la course aux abonnés surpasse la course aux annonceurs. Sollicités de toutes parts (Netflix, Prime Video, Apple TV+, Disney+, Salto), les spectateurs sont en position de force et votent avec leur argent. Dans ce système en surchauffe, la pression des foules a-t-elle affecté le processus créatif ? De façon surprenante, l’étude des cinq étapes du deuil sériephile peut nous apporter des éléments de réponse.

la dépression

Si la dépression ne constitue pas stricto sensu la première phase du deuil, elle est pourtant celle qui vient immédiatement à l’esprit quand il s’agit des séries : l’écran noir indiquant leur fin est une parfaite allégorie de la tristesse abyssale qui envahit les fans désemparés. C’est sans doute pour cette raison que le cut to black surprise de la saga mafieuse de David Chase est si controversé. Sans crier gare, la famille Soprano disparaît (certains pensent que leur poste TV est déréglé) et, à la place d’une routine hebdomadaire, les fidèles se retrouvent face au vide du dimanche soir. Traditionnellement, ce changement significatif dans la vie quotidienne et sociale (les fameuses conversations autour de la machine à café) est vécu comme un drame partagé. Le dernier épisode de Game of Thrones a parfois été vu ensemble sur le lieu de travail. Même s’ils n’étaient pas forcément entre collègues, amis ou en famille pour voir la fin de The West Wing, The Shield, ou Weeds, nul doute que leurs millions d’admirateurs se sont reconnus et retrouvés au lendemain de la diffusion en direct de l’ultime épisode, comme un groupe de soutien improvisé. Cette solidarité dans la solitude est l’un des éléments indispensables à la résilience

Le series finale de The Shield est considéré comme un des plus réussis de l’histoire des séries.

La Peak TV a compromis cette étape, car le binge-watching est par définition une expérience individuelle, presque intime : chacun est maître (ou pas) du fameux bouton qui permet de mettre en pause ou de laisser les épisodes défiler. Plutôt qu’une bataille perdue collectivement, le choc de la fin d’une œuvre est devenu une blessure auto-infligée. Ce n’est pas un hasard si Game of Thrones, une production HBO à la jonction de deux périodes de l’histoire télévisée, est adorée du public et de la critique : au-delà de ses qualités intrinsèques, la série fait figure de dernier rempart contre l’érosion de la communion cathodique causée par la streaming apocalypse. Peine perdue, car le virtuel a prévalu : les débats enflammés ont désormais lieu dans l’arène d’internet et des réseaux sociaux, dont l’ascension est concomitante de la multiplication des contenus sériels. Ces échanges ont revêtu un caractère urgent, voire arrogant : lorsqu’une saison terminale sort en bloc (The Man in the High Castle, Les Nouvelles Aventures de Sabrina, BoJack Horseman), le défi préféré des fans zélés est de la dévorer illico presto, car être le premier à commenter un final très attendu sur Twitter est devenu un titre de noblesse. Il n’est donc plus ici question de dépression, mais de précipitation. Les binge-watchers ne prennent plus le temps de savourer le développement de l’intrigue ni de dire au revoir à des personnages marquants avec le « respect » qui leur est dû. Les bénéfices associés à la gratification différée ? Ils préfèrent les zapper. En dépit de cette tendance, les nouvelles plateformes de streaming Disney+, Apple TV+ et HBO Max ont décidé d’adopter un rythme de livraison « à l’ancienne » : un épisode par semaine, et au lit ! Contrairement à Netflix qui mise sur la quantité et le bouche à oreille, leur but est de faire de chaque production originale une série-événement et de chaque épisode un rendez-vous fédérateur incontournable. Et ça marche : Disney+ a explosé ses projections en termes de nombre d’abonnés, en partie grâce à The Mandalorian et WandaVision qui ont dominé les conversations sériephiles pendant le confinement. Attention, tout de même, aux effets d’esbroufe. Si c’était un plaisir de retrouver Nicole Kidman chaque semaine dans The Undoing – notre intérêt étant décuplé par des cliffhangers appuyés – ce stratagème n’a fait que retarder l’inévitable : un dénouement décevant qui a déprécié la série dans son ensemble.

la colère

Une autre émotion associée au deuil de la fin des séries qui a significativement évolué est la colère. Pour les fidèles, l’incrédulité mêlée de rage atteint son apogée au moment de l’annonce de l’arrêt d’une œuvre. À l’époque du règne des networks, le découpage en saisons suivait un calendrier immuable : les séries phares étaient lancées peu après la rentrée des classes, Noël était célébré avec un épisode spécial, puis le printemps arrivait autour des chapitres 17-18, avant de laisser place à la pause estivale et aux éventuelles rediffusions. Le couperet de l’annulation tombait généralement avec un an de préavis. Ce laps de temps permettait aux spectateurs de digérer la nouvelle avec résignation, ou à l’opposé, de faire mijoter leur mécontentement (lettres aux chaînes, menace de boycott…). Le pouvoir des masses a toujours eu le potentiel de faire plier l’industrie télévisée : on se souvient des extensions accordées à Roswell, Jericho et Friday Night Lights. L’équation est simple et basée sur des considérations économiques : si les fans courroucés sont assez nombreux pour créer le buzz, a priori une saison supplémentaire pas trop coûteuse est un bon investissement. Tels les rescapés d’un tremblement de terre, les épisodes suivants sont perçus comme des miraculés qui captivent l’attention du public et des médias.

Aujourd’hui, les annulations sont brutales et imprévisibles : elles nous restent coincées dans la gorge. En outre, le mode de visionnage addictif auquel nous sommes accoutumés conduit à des réactions décuplées de la part de certains abonnés, qui se considèrent plutôt comme des actionnaires. Pour eux, la fin d’une série est vécue comme un affront personnel et une injustice, surtout quand elle est orchestrée par les plateformes de streaming qui ne révèlent pas leurs chiffres d’audience. Ce n’est pas tant la qualité du final qui fait polémique, comme au temps des Soprano ou de Lost, c’est l’audace des fournisseurs qui osent sevrer leurs utilisateurs alors que leur business modèle est construit sur la dépendance via le binge-watching. Cette colère disproportionnée (une grève de la faim pour un spectateur de The OA !) peut être constructive : plusieurs séries annulées par Netflix ont été prolongées (Sense8) ou repêchées par d’autres diffuseurs en quête de visibilité (One Day at a Time sauvée par Pop TV).

Ces cas de figure restent exceptionnels. Malgré les cris du cœur et les coups de gueule sur les réseaux sociaux, on assiste à un essoufflement généralisé. De plus en plus de réalisations rejoignent l’au-delà dans un silence assourdissant. House of Cards s’en est allée dans l’indifférence des abonnés, la sixième saison ayant été un peu bâclée à cause des contraintes de production et de l’absence de Kevin Spacey, évincé en amont. Orange Is the New Black a maintenu le cap tout au long de sept superbes saisons, mais son arrêt n’a pas fait de vagues. La série Amazon Transparent a tiré sa révérence avec un long épisode de comédie musicale – un enterrement en forme de compromis après le scandale MeToo qui a éclaboussé Jeffrey Tambor. Même son de cloche (faible) pour les saisons finales de UnReal et Casual, deux productions Hulu dont – est-ce un hasard ? – les derniers épisodes ont été livrés d’un coup. Alors, la gloutonnerie conduit-elle à l’apathie ? En toute logique, le spectateur constamment bombardé de contenus inédits passe à autre chose plus rapidement, tel un enfant en pleurs devant lequel on agite un jouet pour le distraire de son chagrin. Il peut aussi s’agir d’un mécanisme de protection face à un sentiment d’impuissance accablant. En effet, à cause de l’épidémie de COVID-19, une flopée de séries ont dû être annulées prématurément (y compris certaines qui avaient déjà été renouvelées, comme Glow ou On Becoming a God in Central Florida). Autant de coups durs à encaisser pour les fans, dans un contexte déjà bien morose. La colère, devenue intolérable et vaine, a été supplantée par la résignation.

la négociation

Et les showrunners dans tout ça ? Du point de vue créatif, l’avantage évident du binge-watching est une plus grande liberté. Une fois le feu vert financier obtenu, les allers-retours pour négocier avec les producteurs sont quasi-inexistants, puisqu’à l’ère de la Peak TV la plupart des saisons sont écrites et diffusées comme des entités cohérentes (souvent plus courtes). Délestés des turbulences telles qu’une audience en berne après un épisode moins percutant ou un acteur qui prend la grosse tête en cours de tournage, les scénaristes opèrent en vase clos. Ceux qui sont débauchés par les services de streaming (le leader, Netflix, est connu pour les leurrer à coup de contrats juteux puis leur donner carte blanche) se retrouvent dans la situation des romanciers à succès. Ils peuvent, s’ils le souhaitent, élaborer la fin de l’histoire avant même d’avoir étoffé les premiers chapitres, et leur travail sera présenté devant un large public semi-captif. Le risque d’annulation est toujours présent, mais l’intégrité du processus est respectée, au moins de saison en saison. Comme l’expliquent Matt et Ross Duffer, les créateurs de Stranger Things, « On aborde chaque saison comme une histoire complète et distincte […]. On sait à peu près où l’on va : on a imaginé la fin depuis un moment déjà. Pour être honnête, on ignorait si la série serait renouvelée après la saison initiale. On aimait bien l’idée qu’elle fonctionne de manière autonome, avec le potentiel d’être étendue au-delà ».

Stranger Things : les showrunners savent où ils vont !

Pour les auteurs désireux de protéger à tout prix leur vision, la mini-série (limited series en anglais) est un compromis idéal. Au croisement entre cinéma et télévision, ce format leur offre le meilleur des deux mondes. Le Jeu de la dame, The Plot Against America, Unorthodox, The Third Day, Mrs. America… les productions prestigieuses d’une dizaine d’épisodes maximum se sont multipliées. Leurs showrunners ne subissent pas la pression de devoir frapper encore plus fort avec une saison supplémentaire (la fameuse malédiction de la saison deux). Pour les mini-séries inspirées de faits réels, la fin est même toute tracée d’avance, et donc imperméable aux jets de tomates. Chernobyl, The People v. O. J. Simpson, When They See Us, The Loudest Voice sont d’ailleurs parmi les séries les plus marquantes de ces dernières années. Dans la même veine, les œuvres d’anthologie (True Detective, American Horror Story, Fargo, Easy, High Maintenance) ont pulvérisé le concept de phase terminale, chaque épisode ou chaque saison étant un univers sans cesse réinventé. Cette indépendance artistique est à double tranchant. L’âge d’or des années 2000 a vu l’émergence d’une interaction inédite entre les créateurs et leur public. Certes, Damon Lindelof a souffert du caractère obsessif des fans envers la mythologie Lost, mais nul doute que l’enthousiasme relayé par sites web sériephiles, encore bourgeonnants à l’époque, l’a aidé à traverser une phase de négociations houleuse avec le network ABC, puis motivé à écrire un final satisfaisant pour le plus grand nombre. L’épilogue de Mad Men est aussi le résultat d’un échange constructif avec les spectateurs. Matthew Weiner était sensible à leur curiosité infatigable qu’il récompensait régulièrement d’easter eggs complices et autres pépites indétectables au premier visionnage. Pour le meilleur ou pour le pire, la Peak TV a créé un certain isolement créatif : adieu le feedback en temps (presque) réel, adieu la validation externe en cours de saison.

le déni

Il fut un temps où la stratégie de l’autruche n’était pas préméditée. À moins d’être des pros du magnétoscope, les fans pouvaient accidentellement rater la conclusion de l’une de leurs séries fétiches. Un embouteillage, des enfants à bercer, une panne d’électricité suffisaient pour les empêcher de connaître le fin mot de Dawson, Loïs et Clark ou Une Nounou d’enfer (d’autant que les diffusions doublées en V.F. étaient très erratiques). De façon plus classique, il est possible de se priver volontairement de dernier épisode afin de prétendre que, comme par magie, les héros continuent à vivre dans une dimension parallèle. On peut aussi faire le choix de se plonger dans un spin-off (série dérivée de l’original centrée sur un ou plusieurs des personnages). Frasier (créé dans la foulée de l’arrêt de Cheers), Boston Justice (The Practice) ou Better Call Saul (Breaking Bad) sont autant de prix de consolation qui ont permis à certains de remonter en selle (sur le canapé) après une fin douloureuse. Depuis que la consommation en streaming s’est banalisée, une variante plus inquiétante du déni est apparue : le visionnage en boucle. Regarder les 201 épisodes de The Office ou les 331 volets d’Urgences, encore et encore, revient à ignorer complètement le fait que ces programmes sont bel et bien terminés : l’épilogue n’est plus perçu comme un supplice, c’est simplement l’épisode qui précède le pilote… Et c’est reparti pour un tour (vive la lecture automatique) ! Les inconditionnels sont prêts à retourner à Scranton et à Chicago avec la certitude qu’ils ne seront jamais déçus. En 2014, Netflix met en ligne aux États-Unis les dix saisons de Friends et l’enthousiasme généré est phénoménal. Non seulement l’entreprise conserve des millions d’abonnés ravis de retrouver leur série doudou des années 1990, mais elle séduit toute une nouvelle génération de fans. Suspendus dans le temps au cœur d’un cadre familier, nous voilà béats ad vitam aeternam.

Encore plus incroyable : la faculté des abonnés à ressusciter des œuvres mortes et enterrées. Pas besoin de se transformer en tortionnaire façon Misery, tout ce que les nostalgiques d’Arrested Development et Gilmore Girls ont eu à faire pour que ces séries cultes reviennent à la vie, c’est de passer des heures sur Netflix à voir et à revoir leurs épisodes préférés. Les plateformes ont rapidement compris que la faim la plus insatiable est celle de la madeleine de Proust. La nostalgie est un effet secondaire, mais inéluctable, de la Peak TV : confrontés à un nombre infini de choix, les utilisateurs se réfugient dans une valeur sûre, la comfort food. Le blues des années 1990-2000 (une période formatrice pour les sériephiles adolescents qui ont aujourd’hui la trentaine) est si puissant qu’il a un impact a posteriori sur la fin des séries. Ainsi, un nombre incalculable de reboots, revivals et remakes sont déjà sortis ou en préparation (Fuller House, Veronica Mars, Frasier…), une façon mercantile de surfer sur les émotions des fans en quête de repères. Les networks et les chaînes câblées s’y sont mis aussi, afin de maximiser leurs catalogues (Will & Grace, Roseanne, Beverly Hills 90210, Charmed ont toutes eu droit à une seconde chance). Qu’on ne s’y trompe pas, le streaming reste le moteur de cette vague de réincarnations : soit ces séries 2.0 assouvissent le besoin incessant de créations exclusives, soit elles accompagnent et assoient le lancement d’une nouvelle plateforme. Le nombre d’abonnés à Showtime a explosé avec le retour de Twin Peaks. Pour Fox, le revival de X-Files était un argument de vente qui a fait monter la cote des droits de rediffusion des saisons précédentes. Pour son service Peacock, NBC mise sur les reboots de Sauvés par le gong, Battlestar Galactica et bientôt Clueless. Pour citer The Strokes, « The End Has No End ».

l’acceptation

L’évolution du marché télévisé, les nouvelles habitudes de visionnage et le goût pour le passé ont annihilé la dernière étape, la plus cruciale, dans le deuil de la fin des séries : l’acceptation. Ce sentiment qui nous fait mûrir et avancer est pratiquement devenu tabou à l’heure de la Peak TV. Plus besoin d’être en paix avec la mort d’un show, la répétition et la réincarnation sont désormais deux options viables. Bien sûr, les producteurs de contenus ne peuvent pas se contenter de sortir du réchauffé. Et pourtant, si on y regarde de plus près, le paysage audiovisuel actuel est entièrement construit autour de la stratégie de l’évitement. La compétition pour capter du temps de cerveau disponible est si féroce que nous sommes traités comme des enfants capricieux et fragiles, apparemment incapables d’accepter le fait que la fin, c’est la fin. On ne nous laisse jamais seuls avec nos émotions : la plupart des plateformes nous abreuvent de recommandations et making-of (Falcon et le Soldat de l’Hiver, Schitt’s Creek), comme on applique un pansement sur une plaie au lieu de la laisser respirer. On nous micro-manage en nous expliquant que, si dernier épisode il y a, il fait partie d’une démarche holistique, parfois annoncée des années à l’avance : le créateur de This Is Us nous a ainsi déjà prévenus que la conclusion de l’arc narratif central a été programmée dès la genèse de la série. On préempte notre colère en nous proposant des procedurals policiers et judiciaires interminables (New York, unité spéciale, One Chicago), ou en nous baladant dans l’univers infini des franchises (Marvel, DC Comics). On doute tellement de notre capacité à surmonter l’absence qu’on nous rajoute une fin à la fin, même lorsque le matériau source est limité et que l’on frôle déjà l’indigestion : Big Little Lies, The Handmaid’s Tale, Game of Thrones. Ou, à l’inverse, on nous laisse « jouer » avec le récit à notre gré, à la façon du livre dont vous êtes le héros : Black Mirror: Bandersnatch, Unbreakable Kimmy Schmidt: interactive special.

One Chicago, franchise de quatre séries procédurales qui totalise déjà plus de 500 épisodes.

Cette aversion pour la finitude n’entrave en rien la qualité, l’originalité et la diversité des séries de l’ère binge-watching. Et l’on se doit d’observer cette tendance sans minimiser le rôle d’autres facteurs, ou comment les intérêts économiques prendront toujours le pas sur le goût du risque et la volonté des scénaristes. Mais en tant que spectateurs passionnés, on peut regretter d’avoir l’impression d’être choyés. Si la Peak TV est généreuse par définition, il serait dommage qu’elle tombe dans la complaisance ou le populisme. La seconde saison de Fleabag, par exemple, était un cadeau inespéré. Sa showrunner géniale, Phoebe Waller-Bridge, nous a traités en adultes complices pendant douze épisodes sans une once de superflu. Elle a osé nous faire découvrir une héroïne en proie au tabou du deuil (et de l’abstinence), quelle audace ! La fin est pleine d’espoir… mais sans espoir de continuation. Ne prenons pas trop au sérieux la déclaration de la principale intéressée de faire une saison trois quand elle aura 50 ans. Acceptons plutôt de dire au revoir à nos séries préférées. Après tout, les enfants de la télé, eux aussi, ont besoin de limites.

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